L’EXPERT – Depuis le 23 octobre, le président de la République, fraichement élu, Kaïs Saïed s’est installé à Carthage, sans y résider, alors qu’il devait appliquer les règles afférant à son poste et en tant que représentant du peuple tunisien, en acceptant de se plier à son devoir. Conformément aux dispositions de la Constitution, le locataire du palais de Carthage doit charger, dans un délai d’une semaine suivant la proclamation des résultats définitifs des élections législatives (le 13 novembre au plus tard), le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) de former le gouvernement dans un délai d’un mois renouvelable une seule fois.
Le président de la République n’a pas failli à sa mission et s’est investi, en personne, afin d’établir un consensus entre les partis ayant obtenu le plus grand nombre de sièges, ce qui n’est pas une tâche facile, en raison des multiples divergences avec le mouvement Ennahdha qui cherche à établir les règles du jeu. La désignation de son mentor Rached Ghannouchi en tant que postulant au poste de chef du gouvernement, alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il brigue celui de président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), n’a pas plu même aux plus proches de ce parti.
Au cours du weekend dernier, le président de la République n’avait pas chômé. Il a rencontré, successivement, le patron du mouvement islamiste, ainsi que le chef du gouvernement et président du parti Tahya Tounès, Youssef Chahed, pour évoquer la formation du gouvernement. Plusieurs chefs de partis ont, par la suite, défilé au palais de Carthage, pour rencontrer Kaïs Saïed. C’est le cas de Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounès qui fait encore l’objet de poursuites judiciaires pour corruption et blanchiment d’argent, Mohamed Abbou (Courant démocratique), Zouhaier Maghzaoui (Mouvement Echaâb), Slim Azzabi (Tahya Tounès) et Seifeddine Makhlouf (Coalition Al Karama).
Seule fausse note avec Abir Moussi qui a expliqué qu’étant invitée en tant que présidente de parti, elle devait se concerter avec les dirigeants de du Parti destourienne libre (PDL).
Toutefois, il semble que la possibilité de concilier entre les points de vues s’avère une mission difficile, avec les divergences existante et l’impossibilité d’une concordance de points de vue, à titre d’exemple, entre Tahya Tounès et la coalition El Karama, ce qui fait peser l’ombre de nouvelles élections législatives, après les tentatives en cours engagées par le président de la République.
Le mouvement Ennahdha, qui a obtenu 52 sièges au sein de l’ARP, n’a pas attendu les délais prévus pour la constitution pour prendre langue avec plusieurs partis politiques et coalitions, tout excluant toute alliance avec deux formations : Qalb Tounès qui est arrivé à la seconde place avec 38 sièges et le Parti destourien libre (PDL), qui occupe le 5ème rang avec 17 sièges.
Dans un communiqué, le parti islamo-conservateur a indiqué avoir entamé des contacts avec «des partis, des organisations et des personnalités nationales» et salué «toutes les parties politiques et sociales qui se sont déclarés prêts à coopérer».
Entre temps, plusieurs partis qui s’étaient opposés à toute alliance avec le mouvement Ennahdha ont commencé à mettre de l’eau dans leur vin. Invoquant l’intérêt national et la nécessité de former rapidement un gouvernement quo doit s’atteler à mener des réformes économiques et sociales urgentes, ces partis parmi lesquels figurent le Courant démocrate (Attayar), Tahya Tounès et le mouvement du peuple ont annoncé leur prédisposition à accorder leur confiance à un gouvernement formé par Ennahdha sans nécessairement y participer. Certains d’entre eux ont même laissé la porte ouverte à une participation à ce gouvernement sous quelques conditions.
De son côté, Qalb Tounès serait en train d’opérer un repli stratégique et de faire un appel du pied en direction du parti de Rached Ghannouchi. «Nous ne sommes en confrontation avec personne, le pays ne le supporte plus. Nous ne nous dresserons contre aucun gouvernement. Nous devons être constructifs, créer une autre mentalité, être différents des autres car porteurs d’une autre culture, celle de l’amour, de la solidarité et de la fraternité dont nous avons fait preuve devant tous les défis que nous avons eu à affronter ensemble», a lancé le fondateur de Qalb Tounès, Nabil Karoui, lors de la première réunion du bloc parlementaire de son parti tenue vendredi.
Ainsi, deux hypothèses sont désormais envisageables pour la formation du nouveau gouvernement.
La première hypothèse est un gouvernement dirigé par un cadre d’Ennahdha, avec la participation ou, du moins le soutien, du Courant démocrate (22 sièges à l’ARP), de la coalition al Karma (21 sièges), du mouvement du peuple (16 sièges) et de quelques indépendants ou petits partis, soit une majorité ne dépassant pas 115 voix. Cette hypothèse est peu probable vu qu’elle aboutirait à un gouvernement peu faible, sans assise politique solide et qui se trouvera continuellement sous la menace d’un retrait de confiance.
Le deuxième scénario serait un gouvernement dirigé par une personnalité indépendante qui fait consensus auprès de la majorité des partis, et comme cela circule, actuellement, il serait « l’homme du président » qui bénéficie d’une grande légitimité à la suite de son élection par 72,71% des voix. Lors du vote de confiance, ce gouvernement devrait obtenir le soutien d’Ennahdha (52 sièges), Qalb Tounès (38), le Courant démocrate (22), le mouvement du peuple (16) Tahya Tounès (14), Machrou Tounès (4), Nidaa Tounès (3), Al Badil (2) et Afek Tounès (2), soit plus de 150 voix en plus de la «bénédiction» des deux principales organisations nationales, en l’occurrence l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA).
Selon la Constitution, si le gouvernement n’est pas formé au terme du délai fixé (un mois renouvelable une seule fois) ou si la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple n’est pas obtenue, le président de la République engage, dans un délai de dix jours, des consultations avec les partis, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité la mieux à même d’y parvenir de former un gouvernement, dans un délai maximum d’un mois. Et si dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’ARP n’ont pas accordé la confiance au gouvernement, le président de la République peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et convoquer de nouvelles élections législatives dans un délai de quarante-cinq jours au plus tôt et de quatre-vingt-dix jours au plus tard.